[DEBUNK] L’eau en bouteille contient-elle 240 000 nano- et microplastiques par litre ?

Je découvre de nombreux articles de presse faisant mention de la présence de plus de 240 000 particules de plastiques dans l’eau en bouteille. Comme cet article du Monde. Après avoir lu l’article scientifique d’où vient cette affirmation, je constate que peu de commentateurs l’ont lu avant d’en parler… 🙄 c’est parti pour un #debunk.

Image par Willfried Wende de Pixabay

L’article scientifique présente une méthode d’analyse qui repose sur une spectroscopie traditionnelle et sur l’effet Raman. Afin d’élargir le spectre d’analyse, ils utilisent un laser à balayage comme source d’excitation. Ils ont aussi créé un algorithme associé à un référentiel spectrale dédié.

Jusque-là aucun problème, si bien réalisée et calibrée la méthode est fiable. Je précise qu’il est difficile de réussir à identifier chimiquement les micro- et nano-plastiques tout en les comptabilisant de manière fine. Donc il y a un vrai intérêt à développer ce type de méthode.

Mais l’utilisation d’appareils de mesure fiables ne suffit à rendre les résultats obtenus fiables. N’oublions pas le facteur humain et les choix qui sont réalisés pour la préparation des échantillons et la calibration des appareils.

Dans ce cas précis, l’étude consiste à utiliser cette méthode, nouvelle pour ce type de caractérisation, pour déterminer les quantités et type de micro- nano- plastiques présents dans les bouteilles d’eau en plastique. A savoir que la grande difficulté dans le cas de l’analyse des micro et nanoplastiques réside dans la manière dont les échantillons sont préparés et la réduction du risque de contamination. Voici la méthode en question :

Donc, des mesures sont prises et bien décrites, parce que généralement c’est là que le problème réside. Cela peut fausser les résultats d’une étude. C’est pour cela qu’au-delà de lire l’article lui-même, il est important de lire AUSSI les annexes qui accompagnent cet article.

Les auteurs ont eu une difficulté au cours des essais réalisés : le blanc, solution de référence permettant de prendre en compte les éventuelles contaminations liées à la méthode de préparation des échantillons, contenait plus de micro- nano-plastiques que l’eau en bouteille !!

Voir graphe a ci-dessous. Le blanc est une eau osmosée ou eau pure (MilliQ) utilisée en laboratoire. Par type de plastique, le polyamide est en quantité plus importante que les autres, probablement lié au procédé de filtration de cette eau. le problème est bien connu par ailleurs.

On voit l’importance de cette solution de référence qui a permis d’identifier une autre source de pollution au cours de l’essai. Le système de filtration étant constitué d’éléments en plastique, la pollution de l’air… sont autant d’éléments pouvant polluer les échantillons.

Donc… plutôt que de modifier leur méthode, ils ont utilisé comme référence un filtre neuf qui n’a pas été préparé comme l’eau en bouteille. Il ne permet pas d’identifier d’éventuelles contaminations par le procédé de préparation des échantillons. Vous ne verrez pas ces graphes dans l’article. Ils sont dans une annexe à part. Voici le graphe présent dans l’article, forcément c’est très différent :

 Les valeurs sont 3x moins importantes que celles du premier graphe parce que les auteurs ont identifié une autre source de pollution lors des premiers essais. Ils ont modifié le protocole pour le blanc qui, de fait, ne joue plus son rôle de référence.

Ainsi, étant donné l’absence d’identification de la pollution liée à la méthode, les résultats présentés dans cet article ne peuvent pas être considérés comme reflétant la pollution en nano et microplastiques dans ces bouteilles. C’est une énorme inconnue dans la méthode. La méthode d’analyse n’est pas remise en cause, mais la préparation des échantillons ne permet pas de déterminer si l’ensemble des particules identifiées proviennent de l’eau en bouteille ou s’il y a eu contamination.

Ce point avait identifié il y a quelques jours par d’autres chercheurs. De ce qu’on peut lire des commentaires, la présence de microplastiques dans cette eau pure n’est pas étonnante. C’est un paramètre à prendre en compte lorsqu’on travaille sur le sujet.

J’ai identifié d’autres points : quand on nettoie le matériel avant de réaliser l’essai, on le fait avec l’eau du blanc ou on en analyse l’impact. Dans ce cas, le matériel est lavé avec l’eau de la bouteille qui est ensuite analysée. Le problème est qu’en faisant cela, la quantité de particules/litres est augmentée ! Les particules peuvent rester sur les parois du matériel… d’où l’intérêt de la solution de référence qui avait d’ailleurs permis d’identifier d’autres pollutions externes.

Autre point : les solutions de référence sont préparées avec une eau similaire à celle considérée comme contaminée, mais cela n’a pas été identifié par les auteurs comme pouvant avoir un impact sur leur résultats. Pourant cela remet en cause le calibrage de la méthode d’analyse. Il y a un problème de méthode de préparation dans cet article. Mais cela arrive assez souvent, et les auteurs ont fait le nécessaire en expliquant chaque étape, c’est ce qui permet d’avancer aussi dans la recherche. Mais cela doit aussi être pris en compte quand on lit une étude scientifique.

D’autres études bien mieux réalisées de ce point de vue confirment la présence de microplastiques dans l’eau en bouteille. Mon débunk ne remet pas en cause ce fait. Mais l’emballement médiatique sur cet article a été vraiment très loin.

Pour conclure : Etant donné l’impact sur le consommateur, il faut faire attention à la manière dont les infos issues d’articles scientifiques sont relayées et traduites auprès du grand public. Lire à minima l’article et son contenu… Là pour le coup c’est un énorme raté

PS : si j’insiste sur la question de la responsabilité des journalistes et commentateurs qui relaient sans comprendre ce qu’ils lisent (ou qui ne lisent pas…), c’est qu’il y a des personnes qui s’inquiètent. Cela peut générer de vraies angoisses

Petits liens vers les Threads X et BSK :

Après avoir lu l’article scientifique sur la présence de micro et nano #plastiques dans l'eau en bouteille, je constate que peu de commentateurs l'ont lu avant d'en parler… 🙄 c'est parti pour un #debunk 🧵www.lemonde.fr/planete/arti…

Kako (@kakoline.bsky.social) 2024-01-13T17:55:00.021Z

Commentaires

Une réponse à « [DEBUNK] L’eau en bouteille contient-elle 240 000 nano- et microplastiques par litre ? »

  1. […] d’autres. Donc le sujet est connu. J’avais débunké récemment un article qui annonçait la présence de 240 000 MP/litre dans les bouteilles en plastique, ça ne remet pas en cause leur présence mais il ne doit pas être considéré comme […]

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