Depuis plusieurs mois nous entendons dire dans les médias et réseaux sociaux qu’il faut jeter nos ustensiles de cuisine en plastique noir, parce qu’ils contiendraient des substances toxiques. Mais saviez-vous que l’article scientifique cité en référence contient une ENORME erreur de calcul ? non ? Normal, aucun média français n’en a parlé. Je vous explique.

1- L’article scientifique
L’article scientifique a été publié dans la revue Chemosphere en octobre 2024. Les auteurs ont étudié 203 produits en plastiques noirs, dont 109 ustensiles de cuisine, tous issus de magasins locaux à Seattle, USA, achetés entre 2020 et 2022. Ils y ont détecté des retardateurs de flammes dans 85% des produits étudiés, alors qu’ils ne devraient pas en contenir. Ces produits seraient en effet fabriqués à partir de matières plastiques recyclées issues de l’électronique, ce qui expliquerait la présence de ces substances.

Les auteurs déterminent à partir de ces valeurs une exposition journalière à l’un de ces retardateurs de flamme, le BDE-209 qui est une substance cancérigène, reprotoxique et un perturbateur endocrinien : 34 700 ng/jour (valeur médiane) pour un adulte de 60kg. Selon les auteurs cette valeur est proche de la valeur toxicologique de référence aux USA pour le BDE-209, ce qui constitue un potentiel d’exposition élevé.
Sauf que.. et oui il y a des mais. Je n’evoquerai que 2 points que les reviewers du comité de lecture auraient dû voir, ça saute aux yeux quand même.
2- Plusieurs points contestables, dont 2 majeurs
Point n°1 : Pour évaluer le risque, la méthode d’exposition d’une autre étude est utilisée ou des morceaux d’ustensiles sont mis 3x 15min dans l’huile à 160°C, ce qui est un énorme conservatisme de par la température d’exposition mais aussi par la taille de l’échantillon qui expose plus de surface au contact de l’huile chaude.
Cette étude conclut à une exposition médiane de 60ng/jour. Les résultats sont donc très différents sur ces 2 études. Ajoutons que parmi les ustensiles de l’étude de 2024 il y a des éplucheurs dont la concentration en BDE-209 est la plus élevée, et qu’on ne trempe pas (à ma connaissance) dans l’huile chaude… sans ces produits la médiane serait beaucoup plus faible. Mais apparemment cela n’a interrogé ni les auteurs qui n’en analysent pas les raisons, ni le comité de lectire scientifique qui a laissé passer le texte sans plus de précisions ou d’hypothèses.
Point n°2 : La dose de référence aux USA pour la substance étudiée est de 7 000 ng/kg de poids corporel/jour. Pour un adulte de 60 kg, les auteurs estiment que cette dose est de 42 000 ng/jour. Et si vous avez tout suivi vous voyez où je veux en venir…
7000×60=420 000 ng/jour ! et non 42 000. Erreur d’un facteur 10 !! qui change tout quand on parle d’exposition à une substance. Celle-ci ne correspond plus à 83% de la valeur de référence mais à 8,3%… le risque d’exposition n’est pas du tout le même. Oups… ils ont oublié un zero !
Cela change donc la conclusion de l’article sur le risque d’exposition. Mais on peut aussi se dire que ces substances n’ont rien à faire dans ces produits, ce qui est vrai. La règlementation européenne réduit fortement ce risque, puisque les filières de recyclage ne se croisent pas. Un produit issu de l’électronique ne peut pas être recyclé dans l’alimentaire. La règlementation chinoise suit tardivement le même chemin.
L’étude est bien trop localisée (autour d’une ville américaine) pour en faire une généralité comme c’est le cas dans les médias.
4- Une erreur reconnue mais peu communiquée
La revue Chemosphere a ajouté un court rectificatif apporté par les auteurs le 15 décembre 2024, sans modification de l’article. Cela est problématique parce que l’erreur modifie les conclusions de cet article, qui devrait être relu par un comité de lecture scientifique. Un point important à préciser, l’autrice principale travaille pour Toxic-Free Future. Mais dans la partie déclaration d’intérêt de l’article on peut lire ce très surprenant paragraphe :

Depuis avril 2024, cette revue a retiré 8 articles et publié 60 rétractations. Elle a également été retirée de la base Web of Science. Cela résulte en partie de l’impact international de cet article, dont le corrigé ne sera pas largement médiatisée…
L’éditeur Elsevier dit mener l’enquête depuis juin 2024 sur le processus d’évaluation des pairs compromis ou manipulés et des conflits d’intérêt non divulgués. Toute cela est très grave… En décembre la revue Chemosphere a publié ces mesures. Le National Post et d’autres médias étrangers ont publiés sur cette erreur dès décembre 2024. Suite à l’alerte d’un scientifique. Finalement il y a eu peu de correctifs à l’international et aucun dans les grands médias français (à priori).
Récemment The Guardian, NBC News ont écrit un article sur le sujet. Espérons que les médias français feront ce même exercice…. Qui me semble essentiel ! J’espère que ce billet le permettra. Mais je ne me fais d’illusion sur sa portée. Malheureusement.
Je précise aussi que j’ai eu l’information via le blog de Seppiwackes, je vous mets le lien ici.
Petit lien vers les Threads X et BSK:

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