Fin 2022, j’ai visité le LIDEC, laboratoire qui se trouve sur le site nucléaire de CHINON. Ce laboratoire expertise les tuyauteries du Parc nucléaire touchées par la corrosion sous contrainte (CSC). Voici un résumé de ses activités, notamment sur la CSC.

Le LIDEC (3500 m²) est un laboratoire d’analyse des matériaux de la Direction Industrielle d’EDF. Il remplace l’atelier des matériaux irradiés (1964-2015) en cours de démantèlement. C’est un labo « chaud » où il est possible d’analyser des matériaux irradiés ou contaminés.
Il en existe d’autres dans la filière, comme le LECI du CEA par exemple. Le LIDEC travaille spécifiquement sur le vieillissement des composants du Parc en exploitation, avec une activité historique sur les matériaux irradiés, mais ausi non irradiés.
Il est sollicité sur des équipements qui peuvent se trouver dans le bâtiment réacteur et qu’on ne peut pas étudier sans mesures de protection. Parmi les éléments étudiés : le vieillissement des générateurs de vapeur et des cuves des réacteurs nucléaires en exploitation.
Il est notamment équipé pour analyser et tester les éprouvettes témoins qui se trouvent dans les cuves des réacteurs nucléaires et qui permettent de suivre le vieillissement des cuves sous l’effet de l’irradiation.
Ces éprouvettes sont prélevées à la fabrication des cuves et constituées du même matériau. Elles sont disposées dans une capsule étanche exposée près du cœur du réacteur afin de subir un niveau d’irradiation plus élevé que la paroi de la cuve.
Une fois ces éprouvettes prélevées, elles sont envoyées au LIDEC où elles subissent des essais mécaniques. Les résultats sont comparés avec ces mêmes éprouvettes non irradiées afin de déterminer l’impact de l’irradiation sur les propriétés mécaniques de la cuve (Source : ASN).
J’avais donné plus d’infos dans un précédent thread sur le vieillissement des réacteurs.
Le LIDEC doit donc extraire les éprouvettes des capsules où elles se trouvent et les tester. La difficulté est que ces capsules et les éprouvettes qu’elles contiennent sont irradiées et doivent donc être manipulées dans des conditions spécifiques pour protéger les opérateurs.
Dans le cas de CSC les conditions sont similaires : une fois décontaminés pour réduire leur dosimétrie, les tronçons de tuyauteries transportés dans un emballage de protection radiologique arrivent dans le labo où ils y sont préparés puis analysés dans des cellules haute activité. Ces cellules blindées constituées de verre, plomb, acier et béton protègent les opérateurs. On peut y découper les tronçons de tuyauteries et les manipuler grâce à des bras télémanipulateurs. Les échantillons préparés sont ensuite analysés dans d’autres cellules.
Depuis l’utilisation sur le parc nucléaire d’un procédé non-destructif par ultrasons (autorisé en juillet 2022 par l’ASN), les zones présentant une fissuration par CSC sont mieux identifiées avant transfert au labo pour y être caractérisées (microscopie, spectroscopies, etc.).
Par exemple avec un MEB-EDX il est possible d’observer et de caractériser la nature chimique des éléments observés, notamment des couches d’oxydes qui se forment dans et autour de la fissure. L’analyse par sonde EDX est semi-quantitative et permet de comparer les zones observées.
Précision : les appareils qui permettent ces analyses, comme le MEB, sont dans les cellules haute activité. Ils sont donc conçus spécifiquement pour cet usage et aux manipulations associées. Il y a bien sûr d’autres appareils que ceux cités dans ce thread. Ici une observation au microscope optique d’une coupe autour d’une soudure, avec une fissure sur sa droite (je l’ai entourée en rouge au cas où 😇).
Au-delà de la caractérisation il faut comprendre l’origine de la fissure, son développement passé et son évolution possible. L’analyse de la chimie/structure de l’acier et de ses oxydes dans et autour des fissures permet d’en déterminer la vitesse de propagation.
Les mécanismes de création de certaines structures d’oxydes et la manière dont elles se développent dans les fissures peut être très caractéristique d’un mode de propagation et possiblement modélisable.
Source : Scott, 1993 et Huguenin, 2013
Les analyses sur couches minces au MET (microscope électronique à transmission) permettent de compléter celles réalisées au MEB, en caractérisant de manière plus précise la nature chimique des couches oxydées qui se trouvent autour et dans la fissure ainsi que leur répartition.On voit sur cette photo 2 zones par contraste chimique au MEB : une zone gris clair, c’est l’acier, et une autre d’un gris plus foncé, ce sont les oxydes. Sur cette photo on voit une coupe transversale aux fissures
D’autres essais sont réalisés, par exemple la cartographie de la dureté de l’acier sur les zones impactées par la CSC.
Ils permettent d’identifier une évolution de ductilité de l’acier de manière très précise. Ce sont des compléments à l’identification des mécanismes de CSC
Par exemple savoir où se situent les évolutions thermomécaniques et ce qui peut expliquer l’inititation d’une CSC en fonction de l’environnement, du mode de fabrication et de la géométrie de la tuyauterie.
L’objectif de ces investigations est multiple :
➡️ Identifier et caractériser la CSC
➡️ Comprendre quand et comment elle s’est développée
➡️ Capitaliser les données et informations pour mieux anticiper le phénomène et son évolution par modélisation notamment.
L’étude du vieillissement est une remontée dans le temps et une anticipation de l’avenir : partir d’un constat, émettre des hypothèses et rassembler les indices pour construire l’histoire du matériau et de l’équipement.
Ce qui nécessite la contribution de plusieurs domaines d’expertise. J’aurais pu rester des heures à discuter dans ce laboratoire des essais et investigations réalisées, de leur interprétation etc.
Je remercie l’expert pour le temps qu’il m’a accordé, c’était vraiment passionnant !
Petit lien vers le Thread Twitter :

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